Pensez-vous que le pain que nous consommons quotidiennement encore aujourd’hui à toujours eu la même forme à travers les différentes périodes de l’Histoire ? Intéressons-nous aujourd’hui au pain du Moyen-Age et plus précisément à celui (ou plutôt à ceux) qu’on pouvait retrouver en Angleterre pendant la période du haut Moyen-Age (entre le VIe et le XIème siècle environ).
Le pain : un aliment de base au Moyen-Age
Le pain est un aliment fondamental au Moyen-Age et ce, qu’importe le rang social de celui qui le mange. Il existe différentes sortes de pain selon les ingrédients utilisés. Ainsi peut-on se sustenter avec du pain de froment (le pain « classique » de nos jours) mais aussi du pain d’épeautre, d’avoine, de sarrasin ou encore de seigle. D’autres types de farine avaient fait leur chemin depuis la Mésopotamie comme la farine à base de fèves.
D’ailleurs pour la petite anecdote, dans l’article 70 des Capitulaires De Villis édicté (en latin) par Charlemagne au début du Xème siècle, il est indiqué une liste de plantes à cultiver dans les jardins royaux. On y retrouve bien des fèves (fabas majores) parmi tant d’autres plantes dont la plupart sont pratiquement inconnues du grand public aujourd’hui : la livèche (leisticum), la garance (warentiam), la sarriette (satureiam) ou encore la coloquinte (coloquentidas). Si vous connaissez tous ces noms vous êtes probablement une pointure en matière d’horticulture !
Outre la différence évidente au niveau du goût du pain, les farines se distinguaient aussi par leur prix. Le pain blanc était probablement le pain le plus cher à produire car le meunier ne gardait que l’albumen du blé pour fournir au boulanger une farine blanche. Ces actions de la part du meunier avaient donc pour conséquence une perte importante de matière première. Ainsi, le pain blanc était plutôt l’apanage des fortunés. Les foyers plus pauvres devaient se contenter d’une farine moins transformée ou issu d’ingrédients moins « nobles ».
La place du pain dans la bible
Tout comme la pratique du bain (cliquez sur le lien si vous souhaitez lire une de mes premières anecdotes 😉 ) la consommation de pain a une place prépondérante dans la bible. En effet, le pain est cité à de nombreuses reprises aussi bien dans l’Ancien testament :
« Moïse leur dit: C’est le pain que L’Éternel vous donne pour nourriture. » (Exode 16:15)
Que dans le Nouveau testament, notamment avec Jésus. Ainsi, peut-on lire dans la Bible que Jésus multiplia par deux fois les pains. L’Ostie (un pain non levé) n’est-il pas non plus consacré comme étant le corps du Christ ((Matthieu 26:26) ?
Enfin, force est de constater que le « Notre Père », l’une des prières les plus célèbres de la liturgie chrétienne, traite du pain comme d’une ressource essentielle au quotidien des Hommes :
« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »
Ainsi, même les textes sacrés insistent sur le rôle essentiel du pain dans le quotidien des Hommes. Cependant, il n’est que très rarement fait mention de la composition ou de la forme qu’ont les pains. Il faut donc trouver d’autres sources.
Concrètement, quelle était la forme du pain au Moyen-Age ?
La difficulté de traiter de l’Histoire de la nourriture
Une des difficultés concernant l’étude historique de la nourriture concerne l’évidente impossibilité de conserver les aliments sur une très longue période. En effet, en dehors de certains aliments résistant au passage du temps comme le miel (et encore…), les autres produits comestibles finissent invariablement par pourrir et servir de nutriments aux vers. Dans le cas du pain, des fouilles archéologiques autour de Pompéi et d’Herculanum ont pourtant permis de mettre au jour des restes de pain ! Ce quasi-miracle archéologique est dû à la carbonisation du pain lors de l’éruption du Vésuve en 79. Cette découverte montre un exemple de forme de pain pendant l’Antiquité.
Les sources primaires sont donc très limitées. Il en est de même des recettes. En effet, étant donné le nombre restreint de personnes sachant lire et écrire au Moyen-Age, il apparaît que les recettes et les formations des artisans (boulangers notamment) étaient transmises par voie orale. Cela ne veut pas dire que l’on n’a retrouvé aucune recette écrite mais que celles qui furent retrouvées ne représentent pas nécessairement la majorité des recettes disponibles d’une époque de l’Histoire.
Dans ce genre de cas, il existe des méthodes plus ou moins fiables pour essayer de reconstituer une recette oubliée. Une des méthodes se nomme le reverse engineering (ingénierie inversée) laquelle consiste à étudier un objet pour en déterminer le fonctionnement interne ou la méthode de fabrication. A ce propos le British Museum a réalisé une vidéo avec Giorgio Locatelli dans laquelle le chef italien doit proposer sa recette pour recréer une copie du pain retrouvé lors des fouilles archéologiques à Herculanum :
Comme l’explique le musée d’Histoire de Londres, le pain réalisé aujourd’hui est forcément plus gros que celui des photos archéologiques. L’explication est simple : l’intense chaleur provoquée par l’éruption du Vésuve a carbonisé le pain et lui a par conséquent éliminé tout présence d’eau. Tout comme un raisin sec, l’aliment a alors adopté une forme plus rétrécie, laquelle n’a pas évoluée depuis près de 2000 ans.
L’Antiquité c’est très bien, mais le titre de l’Article c’est le pain au Moyen-Age me direz-vous. Laissez-moi donc vous parlez du blog « The Early English Bread Project« .
Un projet universitaire autour du pain médiéval en Angleterre :
Ce qui m’a le plus motivé à écrire cette anecdote historique est clairement le projet universitaire autour du pain de l’Angleterre anglo-saxonne imaginé par Debby Banham de l’Université de Cambridge et Martha Bayless de l’Université d’Etat de l’Oregon.
Pour faire court, le projet vise à mettre en lumière tous les aspects relatifs au pain en l’Angleterre quand l’île était sous domination anglo-saxonne (du VIe au XIe siècle environ). En tant qu’aliment le plus important du quotidien des habitants, il est évident que les deux universitaires cherchent à explorer tous les tenants et aboutissants du pain de l’époque : de sa culture à sa fabrication jusqu’aux manières de la consommer. Vous pouvez lire toutes leurs fascinantes découvertes directement sur leur blog (en anglais).
Ce qu’on peut retenir de leurs articles :
- Comme je vous l’indiquai auparavant, seules les élites pouvaient se permettre de consommer régulièrement du pain issu de la farine de blé. Le rude climat anglais rendait en effet la culture du blé plus difficile ce qui augmentait mécaniquement son prix au kilo.
- Le pain « standard » (c’est à dire celui d’à peu près tout le reste de la population), était une combinaison de différents ingrédients : avoine, orge et seigle, voire des fèves et des pois (pas forcément toujours bien transformés en farine) pour les plus pauvres.
- Les boulangers faisaient avec « les moyens du bord », c’est à dire les ingrédients locaux. Si la matière première venait à manquer, très rares furent les importateurs. Il faut donc imaginer une certaine adaptabilité de fabrication et donc de consommation lorsque les récoltes étaient mauvaises.
- Les fours n’étaient pas vraiment répandus à cette époque. Privilège là aussi des élites et des communautés suffisamment organisées pour en construire et (surtout) en entretenir un. Aussi, un village pouvait n’avoir qu’un seul four pour tous les habitants. De fait, la cuisson du pain dans un four ne relevait pas de l’évidence pour une majorité de la population. C’était même probablement plus l’exception que la règle. La cuisson se faisait donc directement sur une plaque chauffée au feu de bois.
- Concernant la levée du pain il existait deux méthodes possibles. Soit on utilisait la levure issue du processus du brassage de la bière (plus d’infos ici) soit on développait sa propre culture du levain à base de farine et d’eau. A savoir que seule la farine de blé (froment) est vraiment riche en gluten. Or c’est la présence de gluten additionné à de la levure qui va permettre au pain de vraiment lever.
Tous ces éléments vous donnent un indice sur l’apparence des pains de cette époque. En effet, loin de s’approcher de nos pains à la consistance moelleuse et aérienne, le pain au Moyen- Age était généralement très dense. Le genre de pain dont quelques bouchées à peine suffisaient à vous caler l’estomac.
D’autres articles viendront compléter cette courte liste d’informations sur la réalité du pain médiéval dans l’Angleterre anglo-saxonne. En attendant, si ce sujet vous intéresse, je vous conseille encore une fois de consulter le blog tenu par Debby Banham et Martha Bayless !
Conclusion :
Ainsi, parler de pain au Moyen-Age au singulier serait peu pertinent tant il existe des différences de formes et de goûts. Ces différences, comme on l’a vu, proviennent des matières premières utilisées mais aussi du traitement subi par les farines pour donner au pain sa consistance.
Surtout, si le pain a perdu la prévalence qu’il a pu avoir dans les repas du quotidien (notamment en Angleterre) il n’en demeure pas moins un élément central de notre Histoire. En effet, entre l’impact sur l’aménagement du territoire à cause de la culture croissante du blé ou les conséquences sociales quand il venait à manquer, le pain représente bien souvent une clé à la compréhension de notre Histoire occidentale.
Références utilisées pour cette anecdote historique :
Veuillez suivre ce lien si vous souhaitez lire la publication qui m’a donné envie d’écrire cet article.
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