Dans cet article je souhaite raconter l’Histoire d’une façon encore trop peu répandue sur Internet. En effet, c’est par le biais de la Dataviz (ou Visualisation des données en bon français) avec Google Data Studio que je souhaite vous livrer des anecdotes historiques sur les monarques de France. Ce présent article se concentre sur la dynastie des Mérovingiens qui régna du Vème au VIIIème siècle après Jésus-Christ sur un territoire franc rassemblant grosso modo une très grande partie de la France et du Benelux, ainsi que sur une partie de l’Allemagne et de la Suisse actuelle.
Le royaume des Francs connait durant la dynastie des mérovingiens un flux constant de morcellements et de réunifications. La principale raison vient de la règle de succession en vigueur à l’époque : le partage salique (ou Gavelkind) dans lequel les titres du souverain sont répartis entre ses héritiers éligibles, l’aîné gardant cependant le titre principal.
De la Dataviz pour parler d’anecdotes historiques ?
Déjà, qu’est-ce que c’est la dataviz ? C’est tout simplement le fait de montrer visuellement un ensemble de données afin de faciliter leur lecture et leur compréhension. Il existe des dizaines de façons de communiquer visuellement des informations. J’en veux pour preuve le répertoire, certes non exhaustif mais tout de même impressionnant, réalisé par la designer américaine Anna Vital.
Aujourd’hui les outils de dataviz permettent de créer des infographies dynamiques. J’entends pas là la possibilité pour le lecteur d’interagir directement avec l’infographie. Dans les faits, il peut donc changer le type de données qu’il souhaite voir et l’ensemble des graphiques s’adapteront en conséquence. Cela permet de considérer un sujet sur un angle différent sans avoir à changer entièrement la présentation.
Vie et mort des « rois de France » ?
Petite précision avant de vous montrer l’infographie, j’utilise intentionnellement le terme de « monarque » pour parler des souverains de notre Histoire nationale car le titre de « Roi de France » aurait été anachronique et donc faux pour parler des rois mérovingiens.
En effet, le titre officiel des souverains français a évolué au cours des âges. D’abord roi des Francs avec les Mérovingiens, le titre se transforme en roi de France sous le règle de Philippe Auguste pour affirmer le lien sacré qui existe entre le territoire du royaume et son chef. Ce titre devra ensuite s’effacer à plusieurs reprises suite à la Révolution française au profit de roi des Français ou encore empereur des Français.
Ces 4 titres ont pu être complétés de titres complémentaires correspondants aux souverainetés théoriques ou réelles du monarque en dehors du territoire national (Navarre, Sicile, Pologne et même roi de Jérusalem sous Charles VIII et Louis XII !).
Quand l’Histoire rencontre Google Data Studio
Comment utiliser l’outil Google Data Studio
J’ai donc décidé d’utiliser l’outil gratuit de Google pour réaliser cette infographie dynamique. Bien qu’assez limité quand on le compare à des outils comme Power BI de Microsoft, sa facilité d’utilisation et sa gratuité (car oui c’est le principal argument) en font un outil efficace pour initier un mariage entre dataviz et anecdotes historiques.
1er conseil : cliquez sur l’option de mise en « plein écran ». Cette option est disponible en bas à droite de l’infographie, à quelques pixels à droite du gros titre « Google Data Studio » lequel s’affiche plus distinctement quand vous placez votre souris au niveau de l’infographie. Vos yeux vous en remercieront.
2ème conseil : n’oubliez pas que le dashboard (l’infographie) comporte 2 pages. La première page concerne donne une visualisation de diverses données sur la vie des monarques listés tandis que la deuxième page se concentre sur leur mort. Vous pouvez accéder à la deuxième page en cliquant dans le coin bleu en bas à droite de l’outil. Le coin bleu en bas à gauche vous permettra de retourner à la page 1.
3ème conseil : Amusez-vous à jouer avec les différents filtres disposés en haut du dashboard. C’est bien cela l’avantage premier d’une infographie dynamique : vous permettre de visualiser des données selon votre envie et surtout, votre curiosité concernant les rois mérovingiens 😉 .
Quelques statistiques anecdotiques en vrac sur les monarques mérovingiens
- Seuls 12 rois (sur 33, soit à peine plus d’un tiers) ont gouverné un royaume unifié (d’où l’utilisation du « r-u »).
- Ces rois plus chanceux que les autres (et encore…. #Childéric II) ont connu un règne de 15 ans en moyenne avec un minimum de 3 ans pour Clotaire Ier, dit le Vieux contre un maximum de 45 ans pour Clotaire II, dit… le Jeune (à ce niveau là, ça ne s’invente pas !).
- Les rois ayant régné plus de 20 ans sont tous nés avant le VIIème siècle.
- Les deux derniers siècles voient ainsi le règne de pas moins de 19 souverains différents avec une moyenne de 11 ans sur leur trône respectif. A titre de comparaison vraiment anecdotique (mais historique 😁 ) François Mitterrand fut président de la République française (Vème République) pendant 13 ans et 11 mois.
- Les historiens peuvent confirmer le lieu de naissance des 2 premiers rois mérovingiens (Clovis et Clodomir) datant de la fin du Vème siècle, alors que celle des souverains nés à partir du VIIème siècle reste un mystère ou ne peut être confirmée.
- Si l’anecdote est amusante elle permet aussi de souligner l’obstacle du manque de sources pour une période qui n’est pourtant pas si loin de nous à l’échelle de l’Histoire. Pour remettre en perspective de manière plus frappante, nous sommes plus proches de la naissance du dernier roi mérovingien (Childéric III, dit le Fainéant) que lui ne l’est de la fondation de Rome !
- Sur les 33 rois mérovingiens présents dans cette infographie, 3 furent canonisés par l’Eglise. Il s’agit de Saint Gontran, Saint Sigisbert et Saint Dagobert (pas le premier que tout le monde connait le Dagobert III). Un nombre considérable si on le compare à l’ensemble des monarques de France.
- D’ailleurs, j’imagine que vous connaissez tous la ville de Saint-Cloud. On doit son nom au prince mérovingien canonisé Clodoald (522-560). Il était le petit-fils de Clovis Ier et le fils de Clodomir. Il préféra renoncer à la royauté et devint ermite et moine.
- Enfin, durant la période mérovingienne, deux reines furent elles aussi canonisées par l’Eglise. Il s’agit de Sainte Clotilde, épouse de Clovis (473-545) et Sainte Bathilde (630-680) épouse de Clovis II (encore une coïncidence de l’Histoire 😉 ).
- D’après les sources qui ont pu résister au travail du temps, on peut noter que la maladie représente la cause principale de décès des rois mérovingiens. La cause précise demeure souvent indéterminée même si on peut noter les cas de dysenterie pour le « bon » roi Dagobert (et non, ce n’est pas la faute d’une hypothétique culotte à l’envers) ou encore de pneumonie pour Clotaire Ier, dit le Vieux.
- Les assassinats ne sont pas en reste avec pas moins de 6 cas recensés, soit près d’une mort sur cinq.
- Au registre des morts un peu plus originales, on peut noter la mort du monarque mérovingien Thibert Ier (ou Théodebert), co-roi de Burgondie et roi des Francs de Metz dont le décès en 548 serait dû à une attaque de bison lors d’une partie de chasse.
- Enfin, pour en finir sur les anecdotes historiques à propos des monarques mérovingiens, on peut constater que l’âge moyen du décès des rois de cette dynastie est de 33 ans.
- Je ne me risquerais pas à faire une comparaison avec l’espérance actuelle des hommes (82 ans en 2016 en France) pour la simple raison que le français moyen aujourd’hui n’est pas sujet à un risque aussi élevé d’assassinat comme on a pu le voir.
- Quant à une comparaison avec l’ensemble de la population de l’époque ? Difficile à réaliser. Les chiffres de l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) ne remontent que jusqu’au XVIIIème siècle. On peut cependant voir qu’avant le XIXème siècle, cette espérance de vie pour l’ensemble de la population dépassait elle aussi à peine les 30 ans.
- Attention cependant, cela ne veut pas dire que personne n’atteignait les 40 ans durant le haut Moyen-Age. En effet, ce qui plombe clairement la moyenne globale -outre les guerres et les épidémies – c’est le fort taux de mortalité infantile. Vous imaginez bien que si la moitié des enfants d’une famille meurent avant d’avoir atteint leur cinquième bougie, cela impacte de manière importante l’espérance de vie attendue de chaque nouveau né. Là encore, les chiffres de l’INED indique qu’en France en 1740, environ 1/3 des nouveaux nés mourraient avant leur 1 an !
- D’ailleurs, en parlant des biais que peuvent induire l’utilisation de la moyenne, il faut noter que l’âge de 33 ans pour le décès des rois mérovingiens cache en vérité de fortes disparités selon les siècles. Ainsi, l’âge moyen du décès des monarques de la dynastie mérovingienne au Vème siècle est de 45 ans tandis qu’il est de seulement 23 ans au VIème siècle, soit quasiment moitié moins ! Je vous laisse découvrir la moyenne au VIIème siècle, car après tout, il faut bien que l’outil de visualisation de données soit utilisé 😉
Plusieurs rois mérovingiens couronnés en même temps ?
Sous les Mérovingiens, malgré les partages du royaume de Clovis Ier, ses descendants portent parfois simultanément le titre de roi des Francs. Régnant sur différentes portions du territoire franc (Austrasie et Neustrie notamment), les rois mérovingiens se considèrent ainsi comme héritiers d’un royaume qui vise à être unique. Cela explique les nombreuses guerres et meurtres fratricides qui tapissent la dynastie mérovingienne (Sigebert II sera ainsi exécuté sur ordre de Clotaire II à l’âge de … 12 ans) .
La difficulté de trouver des informations complètes
Comme vous pouvez le remarquer dans l’infographie interactive, il existe un nombre assez conséquent de « ? » à la place de données comme les dates, les lieux ou encore la cause du décès d’un souverain. La raison est simple : les sources manquent à l’appel !
D’ailleurs, je tiens à souligner que les dates de naissances indiquées dans le Dashboard peuvent ne pas être considérées comme les bonnes par certains historiens. Là encore, le manque de sources entraîne certains débats entre experts du monde médiéval. Dans un souci de praticité dans l’utilisation de l’outil de dataviz de Google il m’était impossible de présenter les différentes dates aussi j’ai dû faire un choix qui risquera potentiellement de déplaire à certains lecteurs.
Mais du coup, de quelles sources parle-t-on depuis tout à l’heure ? La question est pertinente car, manque de sources ne signifie pas nécessairement absence de sources.
Dans les faits, les fouilles archéologiques et l’analyse des objets royaux encore disponibles sont des mines d’informations essentielles à une compréhension plus fine et -surtout- factuelle de notre histoire. Pour donner un exemple récent, je vous conseille de lire cet article de Bernadette Arnaud revenant sur la découverte de restes de poils et cheveux humains incrustés dans des sceaux royaux datant de la période mérovingienne. La découverte permet ici de confirmer nos représentations picturales de « rois chevelus » si caractéristiques du haut Moyen-Age.
Représentation du « bon roi Dagobert » par Emile Signol (1842). Représentation du roi mérovingien Dagobert II sur un vitrail de l’église de Mouzay dans la Meuse (55)
Il existe aussi les sources écrites de l’époque comme le Liber historiæ Francorum (Livre de l’histoire des Francs), les récits de Grégoire de Tours ou bien encore la chronique de Frédégaire. Ces récits proposent une narration très instructive sur la réalité de cette époque, elles ne peuvent cependant pas toujours être prises comme vérité absolue. Les raisons sont évidentes : biais de l’auteur (ou du collectif d’auteurs), récits écrits pour le compte des souverains de l’époque etc… Surtout, les récits s’attachent à expliquer des faits dont ils ne furent pas non plus témoins, entraînant de fait un besoin de prise de recul évident pour le lecteur de tels ouvrages.
Le cas bien particulier de Childéric III, le dernier roi mérovingien
Pour détailler le problème des sources, il est possible de prendre l’exemple de Childéric III, dernier monarque de la dynastie des mérovingiens. Dans les faits, aucun des récits vus plus haut ne précise sa filiation. Cela peut s’expliquer aisément pour le Liber historiæ Francorum et les récits de Grégoire de Tours car ces derniers furent achevés après la naissance de Childéric III.
Cependant, concernant la Chronique de Frédégaire allant jusqu’en 768, l’absence du dernier roi mérovingien peut interroger. Une des raisons serait à chercher du côté des auteurs. En effet, parmi ceux-ci on peut nommer Childebrand ainsi que son fils Nibelung. Or, Childebrand est un oncle de Pépin le Bref lequel fondera … la dynastie carolingienne.
L’usurpation du trône sera d’ailleurs légitimée par l’archevêque Boniface de Mayence en 752. En effet, l’archevêque sacre Pépin le Bref et assoie ainsi son pouvoir par l’entremise de l’Eglise et donc.. de Dieu ! Pour l’anecdote historique qui ne manque pas d’ironie le sacre se déroule à Soissons, telle une ultime référence à la dynastie mérovingienne désormais reléguée à l’Histoire.
La continuité avec le fondateur du Royaume franc ayant été confirmée, la présence de Childéric III devient dès lors gênante pour les membres de la nouvelle dynastie.
Dernier point concernant Childéric III. Je soulignais plus haut l’importance que revêtait le cheveu chez les souverains mérovingiens. La chevelure et la barbe, toutes deux longues étaient bien entretenues car elles permettaient de souligner richesse et pouvoir**. En cela, le tableau d’Évariste-Vital Luminais souligne remarquablement bien l’humiliation qu’a dû ressentir Childéric III lorsqu’il fut effectivement privé de son droit au trône avant d’être tonsuré et consigné à une vie de moine jusqu’à sa mort en 755, soit 3 ans après la sacre de Pépin le bref. Ainsi, s’éteignit la dynastie mérovingienne en même temps que cet article qui leur est consacré.
** Si vous pensiez qu’il était impossible d’être coquet durant cette « sombre et sale période qu’est le Moyen-Age », je vous conseille la lecture d’un de mes tous premiers articles sur la question de l’hygiène du corps au Moyen-Age 😉
Conclusion et suite de l’article sur les monarques de France
J’espère que la forme inédite de cette anecdote historique vous aura donné envie, comme moi, d’en savoir plus sur la dynastie mérovingienne. Le prochain article portera tout naturellement sur la dynastie… carolingienne. D’ici là, n’hésitez pas à faire un petit tour du côté de la bibliographie qui m’a donné envie d’écrire cette anecdote historique.
PS : Pour ceux qui sèchent encore sur la représentation graphique des monarques voici la réponse. De gauche à droite : Charlemagne, Saint Louis, François 1er, Henri IV, Louis XIV et Clovis. La représentation de Charlemagne n’est pas classique je dois l’avouer. La seule autre fois où je l’ai vu dépeint sans une grande barbe bien fournie c’était dans la bande dessinée éponyme de l’excellente collection « Ils ont fait l’Histoire » aux éditions Glénat & Fayard (dessins de Gwendal Lemercier).
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Sources et Bibliographie sur les mérovingiens
Les cartes au début de l’article sont issues du site CartesFrance.Fr.
Pour l’image des monarques, il s’agit de la 1ère de couverture de ce livre aux éditions Quelle Histoire.
Le graphique concernant l’évolution de l’espérance de vie en France depuis 1740 provient de l’INED.
Tres interresant ,j’adore.
Merci pour cette méthode de travail que je ne connaissais pas avec Google data Studio !
Un excellent article.
Merci beaucoup pour ce commentaire !
J’aime aussi énormément l’approche originale que vous avez pour votre site 🙂